Paracosme, « je passe ma vie dans mon monde imaginaire » Est-ce grave docteur ?
- pmartinpsy
- 10 avr.
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 4 jours
#paracosme #vieimaginaire #anxiété #peterpan #fatasmerunevieimaginaire #passersaviedanssatête #lacan
Dans un premier temps de quoi on parle ? Pour faire simple : Imagine que tu as une super boîte à jouets dans ta tête, aujourd’hui ça serait plus un smartphone ou un iPad avec un accès gratuit au manwha. Dedans, il y a des histoires, des amis imaginaires, des pays imaginaires secrets (clin d’œil à Peter Pan)... C'est un peu comme un rêve que tu peux visiter quand tu veux, même quand tu es réveillé ! Enfin surtout quand tu es éveillé

Ce monde secret dans ta tête, où tu peux inventer tout ce que tu veux, c'est un peu ça un paracosme. C'est comme si tu avais une petite pièce cachée dans ton imagination où tu es le dieu ou la déesse et où tout se passe comme tu l'as décidé, bon ou mauvais, souffrance ou bonheur. Le Parascome peut tout autant se faire vivre une vie de rêve que de souffrance.
Rappelle-toi, quand tu jouais avec tes poupées ou tes voitures et que tu leur inventais des vies ? Et bien, un paracosme, c'est un peu comme ça, mais en encore plus grand et plus secret, juste dans ta tête. C'est ton propre monde imaginaire !
Bon maintenant que je vous l’ai expliqué mode 3 ans passons au registre un peu plus sérieux.
Le paracosme, dans une perspective lacanienne, peut être appréhendé comme une formation de l'imaginaire particulièrement élaborée et structurée, comme un mécanisme de défense qui se transforme en symptôme. Il ne s'agit pas simplement d'un "ami imaginaire" ponctuel, mais d'un système imaginaire interne riche, avec ses propres règles, topographies, et souvent, une histoire et des habitants persistants. À certains égards comparable à la structure d’un rêve, mais lié au fantasme plutôt qu’au désir. Freud nous a dit que le rêve était la voie royale vers le désir, le Parascome serait celle du fantasme.
De ce point de vue, le paracosme offre un terrain fertile pour l'exploration des dynamiques psychiques fondamentales. Il témoigne de la puissance créatrice du sujet dans sa tentative de se construire une réalité cohérente et maîtrisable, dans un premier temps, en réponse au réel opaque et angoissant. C’est une solution pour surmonter l’impuissance que le monde fait ressentir, un mécanisme de défense.
On peut y déceler à l'œuvre les processus de symbolisation primaire et secondaire. La mise en place d'un tel univers fictionnel implique une élaboration narrative, une nomination des éléments qui le composent, et l'établissement de relations causales et logiques, même si celles-ci divergent des lois du monde "objectif". C'est une manière pour le sujet de s'approprier le langage et de structurer son rapport au monde via un "dire-faire" imaginaire.
Quand je dis qu'on peut "déceler à l'œuvre les processus de symbolisation primaire et secondaire" dans un paracosme, ça signifie qu'en regardant comment fonctionne ce monde imaginaire, on peut observer deux manières fondamentales dont l'esprit humain utilise des "signes" pour donner un sens aux choses. expliquons nous :
Il faut imaginer la symbolisation primaire comme la toute première façon dont un bébé commence à comprendre le monde. Au début, il n'y a pas de mots, juste des sensations, des émotions brutes. Pour donner un sens à la présence de sa mère, par exemple, il peut associer son odeur, la chaleur de son corps, le son de sa voix à un sentiment de sécurité et de plaisir. Ces sensations deviennent comme des "signes" (même s'il ne les comprend pas encore comme des mots) qui représentent quelque chose d'important pour lui. Dans un paracosme, on voit cette symbolisation primaire à l'œuvre dans la création des éléments de ce monde : un certain type de paysage peut être associé à un sentiment de calme, une créature imaginaire peut incarner une peur, sans qu'il y ait forcément un langage précis pour le dire. C'est une symbolisation plus directe, émotionnelle, liée à l'expérience sensorielle.
Ex : un jour un patient me parle d’un dragon avec qui il fraternise dans son monde

imaginaire, bien des séances plus tard, nous découvrons que c’est le surnom que lui et son frère donnait à leur mère. En réussissant à l’interpréter, la mère "terrifiante qui rugissait sur des enfants à s’enflammer les joues", les dragons disparurent du pays imaginaire du monsieur, il n'eut plus jamais à le combattre (le dragon).
Ensuite, il y a la symbolisation secondaire. C'est quand le langage entre en jeu. Les mots deviennent les principaux "signes" que nous utilisons pour représenter les choses, les idées, les relations. Quand tu racontes l'histoire de ton paracosme, que tu donnes des noms à tes personnages, que tu expliques les règles de ce monde, tu utilises la symbolisation secondaire. Tu utilises des mots (des symboles linguistiques ou signifiant) pour structurer et communiquer ce qui existe dans ton imagination et te permettre d’être en lien avec l’Autre. N’oublions pas qu’il n’y a que les mots qui permettent d’entrer en lien avec notre prochain. C'est une forme de symbolisation plus élaborée, qui passe par le système du langage et qui permet une plus grande complexité narrative et conceptuelle de l'existence. Le rôle de votre analyste est de vous aider à élaborer les images en mot pour vous soustraire de vaut maux.
Donc, quand on explore un paracosme, on peut voir comment ces deux types de symbolisation sont à l'œuvre : la manière brute et émotionnelle dont certains éléments prennent sens (symbolisation primaire), et la façon plus structurée et narrative dont le langage organise et donne forme à cet univers (symbolisation secondaire). Le paracosme devient alors un peu comme un laboratoire où l'on peut observer comment un sujet construit du sens, depuis les premières associations sensorielles jusqu'à l'élaboration d'une logique fantasmatique complexe.
De plus, le paracosme peut être vu comme un espace transitionnel au sens winnicottien, mais internalisé à un degré supérieur de complexité. Il permet une manipulation symbolique des objets et des relations, offrant un lieu où les désirs, les angoisses et les conflits peuvent être mis en scène et potentiellement élaborés selon la logique du fantasme du sujet, qui est unique a chacun rappelons-le, à distance du risque inhérent à l'interaction directe avec l'Autre et le réel.
L'investissement libidinal dans le paracosme révèle également des aspects du rapport du sujet à son propre manque (à avoir le plus souvent, faire la distinction du manque à être) et à la quête d'objet (perdu). Les figures peuplant cet univers peuvent incarner des idéaux du moi, des objets perdus ou fantasmatiques, ou plus simplement des représentations des figures parentales internalisées. L'agencement de ces relations au sein du paracosme peut ainsi éclairer les modalités spécifiques du désir et les impasses subjectives (un levier incroyable en analyse ou thérapie).

Enfin, il est intéressant de considérer la fonction potentielle du paracosme dans l'économie psychique. Peut-il servir de refuge face à un réel jugé trop intrusif ou décevant ? Peut-il être un espace de créativité et d'expérimentation identitaire ? L'intensité et la persistance de l'investissement dans un paracosme pourraient alors être des indices de la transformation du mécanisme de défense en symptôme. C’est-à-dire à quel moment cela protège et à quel moment cela devient envahissant, et pouvant couper du monde et de la réalité à se confronter à la surprise que représente l’Autre.
En somme, l'étude du paracosme à travers le prisme de la psychanalyse ouvre des perspectives fascinantes sur la construction subjective, le rôle de l'imaginaire et du symbolique, et les modalités par lesquelles le sujet tente de se situer face à la béance du réel.
D’une certaine manière peu de gens trouve de réelle réponse au pays imaginaire, tout un chacun en dehors des analysants (ceux en analyse), sont plus comme Wendy dans Peter Pan, en sortant de la rêverie ont une réponse, le moyen et l’accès a cette réponse sont renvoyés dans l’inconscient. Quand la rêverie devient envahissante, elle indique que le sujet (vous) est dans l’impasse pour rencontrer le monde, et qu’il est en train de se faire submerger. Si aucun travail ne peut s’effectuer pour le comprendre alors le monde reste angoissant et le sujet se replie sur lui. Vous vous coupez du monde et c’est avant ou à ce moment-là qu’il faut consulter.
Pour les lecteurs de Manga, manwha et manhua la question de la transmigration de l’âme ou en japonais Isekai, c’est la capacité de l’auteur à sublimer sa pratique de Parascome…
bibliographie
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